dimanche 17 mars 2013

Homélie du 4ème dimanche de Carême

par  Jacques Bihin, diacre -  <iconecontemporaine@skynet.be> 

Le souvenir de la maison

La bonne attitude face à la parole de Dieu. 

Nous serions tentés de dire que cette parabole du père miséricordieux et de ses deux fils, est la plus belle et la plus inspirée de toutes les paraboles de l’évangile. Elle est un peu comme cette cruche d’huile de la pauvre veuve de Sarepta qui ne s’épuise jamais. Elle peut être lue, et relue, à différents âges de notre vie, chaque fois elle révélera des aspects inattendus. Car quand on est jeune on comprend bien les sentiments des deux fils, il faut être un peu plus mûr pour découvrir les sentiments du père.

Mais si on commence à qualifier tel extrait comme plus beau ou plus inspiré, on risquerait bien de se construire un évangile à la carte. Relisant continuellement les mêmes passages, ceux qui nous caressent dans le sens du poil, et veillant soigneusement à éviter les quelques extraits qui nous dérangent. La bonne attitude face aux écritures c’est de mettre toute notre intelligence et notre coeur à découvrir la bonne nouvelle qu’elle exprime, même si elle ne nous apparaît pas tout de suite.
Ceci dit, il est légitime de se réjouir de la beauté d’une parabole qui a nourri des générations de chrétiens, et qui a gardé toute sa pertinence aujourd’hui.

Mise en garde contre la mauvaise utilisation de la liberté.

Cette parabole commence par une mise en garde sur la mauvaise utilisation de notre liberté.
Nous vivons dans une société de plus en plus individualiste. Parce qu’elle est une société de consommation, elle nous incite à la dépense, pour ne pas dire au gaspillage.
Cette exaltation outrancière de la liberté individuelle finit d’ailleurs par corrompre notre capacité à vivre ensemble.
Et les effets sont navrants : sous prétexte de rester libres, les couples se séparent, les familles se divisent. Le père dans notre société est de plus en plus écarté de ses enfants, la mère laissée à elle-même dans une structure monoparentale.
Cette évolution de notre société occidentale nous plonge dans un égoïsme structurel qui au final provoque toujours plus de solitude et de mal-être.
La liberté n’est plus une vertu lorsqu’elle sert notre égoïsme et la jouissance de biens éphémères. L’indépendance n’est plus un bien lorsqu’elle a pour objet le repli sur soi. Nous qui sommes disciples du Christ, nous le savons : la seule chose qui nous rend vraiment libres, c’est le don de soi, c’est l’amour de notre prochain.

L’élément déclencheur de l’éveil de sa conscience.

Notre fils cadet, lui qui voulait être libre et indépendant, se retrouve donc asservi, ruiné au milieu des cochons.
Comment donc va-t-il se sortir de ce mauvais pas, quel est l’élément déclencheur qui va lui donner la force de revenir chez son père?
On pourrait imaginer d’autres variantes que le scénario de la parabole : par exemple le fils aurait pu trouver au milieu des déchets de nourriture un bout de parchemin de la parole de Dieu, se laisser toucher et se convertir; on aurait pu imaginer qu’un prophète passant par là l’interpelle et réveille sa conscience, il n’en est rien. L’élément déclencheur qui va le remettre en marche c’est : le souvenir de la maison de son père.
Cet exemple est très précieux pour nous, car nous sommes souvent découragés de ne pas pouvoir transmettre notre foi.
Ici dans ce passage il nous est rappelé que chaque fois que nous annonçons la bonne nouvelle, nous semons des grains qui restent cachés au fond des coeurs et au fond des consciences. Un jour ou l’autre ces grains -qui paraissent morts- vont éclore, ils vont germer et apporter la vie.
Le fils cadet avait gardé, sans même s’en rendre compte, le germe de l’espérance de la vie en communion.
Ce qui a été semé un jour germera. Il se met donc en marche vers la maison de son Père. Nous arrivons à l’instant des retrouvailles entre le père et son fils prodigue.

L’attitude improbable d’accueil du père.

Cette parabole n’est pas un traité d’éducation, comme toutes les paraboles, elle nous fait découvrir une réalité du royaume de Dieu. Cet ainsi que l’attitude d’accueil du père à l’égard du retour de son fils cadet est improbable, et même maladroite, car non-structurante. Le rôle traditionnel d’un père c’est de fixer les justes limites et de les tenir contre vents et marées. Le père aurait dû, en voyant revenir son fils, tout juste accepter qu’il travaille comme serviteur - et pour longtemps - avant d’envisager de le réintégrer comme son fils.

Le père agissant comme une mère.

En fait, le père dans notre parabole adopte plutôt le rôle traditionnel d’une mère. La mère, nous le savons tous, est toujours prête à pardonner, les règles sont moins importantes que l’amour, une maman c’est un océan de miséricorde.
Ainsi cette parabole nous révèle que notre Dieu, bien que se faisant appeler père, a tout autant les qualités d’une mère.
Il se fait appeler père, mais ce n’est en rien exclusif de ses qualités de mère. Notre Dieu c’est le coeur et les entrailles d’un père et d’une mère.

Notre Dieu c’est plus que l’idée que l’on se fait d’un père ou d’une mère.

D’ailleurs, c’est même plus que cela, car l’image que nous avons d’un père ou d’une mère est très en deçà des qualités de Dieu. Nous ne sommes d’ailleurs pas égaux devant l’image d’un père ou d’une mère, certains d’entre nous ont eu la chance de connaître des parents admirables, d’autres doivent apprendre à vivre avec l’image de parents indignes, ou absents.
Mais Dieu lui est de toute façon plus grand que l’image que nous nous faisons d’un père ou d’une mère.
Dieu nous le rappelle par son prophète Isaïe : même si une mère est capable d’abandonner son enfant, moi je ne vous abandonnerai pas.

La justice de Dieu peut nous apparaître comme injuste.

Toujours est-il donc, que le père de notre parabole, agissant comme une mère, va pardonner instantanément et sans condition à son fils cadet, provoquant l’indignation compréhensible de son frère aîné.
Cette parabole nous rappelle aussi, que Dieu applique une justice qui dépasse l’étroitesse de notre coeur, la justice divine est simplement inimaginable pour nous, elle nous parait injuste.

C’est une grande chance pour nous les croyants, de pouvoir nous préparer à la justice inimaginable de Dieu.
Si notre idée du salut, c’est « je vais être sauvé à condition que les méchants soient bien punis » nous restons en marge de la bonne nouvelle, Jésus ne cesse de répéter :
Je ne suis pas venu sauver les justes, mais les pécheurs, je ne suis pas venu pour les bien-portants, mais pour les malades, je suis venu pour offrir ma vie en rançon pour la multitude.
D’ailleurs, si on est honnête envers nous-mêmes, cette justice injuste de Dieu, c’est elle aussi qui nous sauvera.
Nous avons, nous aussi, grand besoin de cette justice démesurée de Dieu.
Dieu, dans son pouvoir créatif extraordinaire, trouvera les moyens de sauver toute l’humanité.

La seule bonne attitude: revenir à Dieu de tout notre coeur comme un serviteur, c’est l’assurance d’être accueilli comme son fils.

Au final cette parabole nous donne à méditer sur 3 attitudes.
De ces 3 attitudes, une seule nous rapproche de Dieu.
La première, c’est celle du fils cadet quand il part gaspiller son héritage. Cette attitude nous révèle que vouloir vivre sans Dieu, et dans l’égoïsme nous conduit inexorablement vers l’asservissement. Une vie sans Dieu est une vie amère.
La deuxième attitude, c’est celle du fils aîné qui lui aussi s’éloigne de son père, parce qu’il n’accepte pas la justice trop généreuse de Dieu. Ne pas accepter la miséricorde infinie de Dieu, c’est trahir l’enseignement du Christ, et nous condamner nous-mêmes.
Et enfin, la seule attitude qui nous remet réellement en marche vers Dieu, c’est celle du fils cadet lorsqu’il décide de revenir vers la maison de son père. Il revient avec la bonne disposition de coeur, bien qu’étant le fils, il revient comme un serviteur et avec un coeur humble. Le Seigneur lui-même n’a rien fait d’autre ! Il était de condition divine, mais il s’est fait l’un d’entre nous, partageant notre condition humaine, dans ses joies, mais aussi avec ses peines. Il était le maître, il a choisi d’être le serviteur.
Au milieu de notre carême, l’occasion nous est donnée de poursuivre notre marche vers Pâques dans les bonnes dispositions, avec un coeur humble, et la volonté de servir. Revenir à Dieu de tout notre coeur comme un serviteur, c’est l’assurance d’être accueilli comme son fils et sa fille bien-aimée.
Amen
                                                 

Aucun commentaire: